Origine des Fonds Sociaux de l'Amicale : Histoire de Celles-les-Bains (Rompon)
Au sein de l’Amicale, dès mon entrée comme nouvelle adhérente, je fus initiée au secret de l’origine de notre capital : un certain Jean Nohain dont je connaissais vaguement le nom sans savoir qui il était, aurait fait don à une maitresse d’une maison en Ardèche qu’au décès de cette dernière, il aurait donnée à l’Amicale.
Il n’en est rien ou du moins pas grand-chose ! Ce n’est pas l’Homme qui donna, ce fut la Femme ! ou l’histoire d’une généreuse Ardéchoise amoureuse d’un homme bien plus jeune qu’elle et tout aussi généreux !
Eugénie Barrier, petite fille du Docteur Barrier, entend Jean Nohain (1900- 1981) parler ou chanter à la TSF et est séduite par l’homme*. Elle l’invite à venir la voir. Il vient. Elle a plus de 80 ans, lui en a 42. Elle décide de lui donner tous ses biens ! En 1942, elle lègue les thermes de Celles-Les-Bains à Jean Nohain qui s’occupait d’enfants déshérités avec promesse d’y loger des enfants nécessiteux. Le legs est consultable aux Archives de Privas.
La suite, on la devine : Jean Nohain n’a rien à voir avec l’Ardèche et cède rapidement ses biens ardéchois. Il donne généreusement à l’Amicale des Ardéchois à Paris la grande ferme de Celles située dans une belle clairière en terrain plat, bien drainé et ensoleillé. L’Amicale s’engage à consacrer les intérêts de la vente de ce bien immobilier à des bourses offertes à des jeunes bacheliers Ardéchois aux revenus modestes qui poursuivront leurs études et reviendront travailler en Ardèche. L’Amicale vend le bien à l’Hôpital psychiatrique Sainte-Marie de Privas qui en est toujours propriétaire. Actuellement, cette magnifique ferme abrite des jeunes en difficultés pour lesquels le travail de la terre est une thérapie.
Dans les années pré-Covid, j’ai reçu un appel téléphonique d’un cadre infirmier de l’Hôpital Sainte-Marie de Privas qui s’intéressait à ce don de Jean Nohain à l’Amicale et m’interrogeait pour en savoir plus. J’eus honte de lui répondre que je ne savais rien ou si peu !
Depuis, je me suis renseignée. Grâce à Mme Dominique Buis, ancienne adjointe au maire de Privas, chargée de la culture, j’ai pu rencontrer Mme Simone Bertrand, institutrice à la retraite, passionnée par l’histoire de la commune de Rompon où elle réside. Le texte ci-dessous n’a pu être rédigé que grâce à elle.
Le docteur Jean-Anet Barrier est né à Vernoux en 1795. Médecin à Vernoux puis à La Voulte, il est membre de l’Académie Royale de Médecine. Il s’établit définitivement à La Voulte en 1826. Il a reçu une importante dote de sa femme Agathe-Eugénie Marquet qui comprend de nombreux terrains. Il tombe malade deux ans après son installation et se soigne avec l’eau des sources qu’il trouve sur ses terres montagneuses, plantées de forêts. Elles sont situées sur une faille géologique qui sépare les terrains sédimentaires secondaires des micaschistes primaires. Ces parcelles situées à Rompon sont dénommées sur le cadastre de Napoléon Selles-les-Bains et parfois avec l’orthographe Celles-les-Bains. Le docteur Barrier publie trois mémoires sur les bienfaits des eaux de Celles en 1837, 1844 et 1856 qui soignent notamment la tuberculose et le cancer. Déjà en 1656, le Docteur Perrin, médecin à l’Hôpital de la Charité citait les eaux de Celles-les–Bains. Sur ses terres, le Docteur Barrier dénombre jusqu’à huit sources intermittentes. La plus célèbre est « La Bonne Fontaine ». Quatre de ces sources sont ferrugineuses (La Fontaine Lévy, La Fontaine Cicéron, La Fontaine Elizabeth, La source des Roches Bleues) et surgissent à une température moyenne de l’ordre de 22 degrés ; les quatre autres (Le Puits Artésien, la Fontaine Ventadour, la Fontaine des Cèdres et la Bonne-Fontaine) sont alcalino-gazeuses exploitées depuis l’époque gallo-romaine mais peu connues en dehors du département. La Route Royale qui relie La Voulte à Privas passe, à l’époque, par la montagne et évite la vallée de l’Ouvèze, trop dangereuse depuis les guerres de religion. Elle dessert facilement les propriétés du médecin.
Très vite, dans les années 1840, le Docteur Barrier fait construire une ville thermale avec trois hôtels de part et d’autre du ravin dont l’hôtel Chalvet, une chapelle, un vaporium avec une haute cheminée qui diffuse une saine vapeur, des cabines pour les malades avec douches et baignoires et un manège abritant une meule actionnée par des chevaux qui écrase la pierre ferrugineuse qui sert aux enveloppements du corps des malades et autres cataplasmes.
Le médecin a sept enfants. Il décède à Rompon en 1876. Son fils Jean-Elisée-Saint-Ange, médecin également reprend l’établissement thermal. En 1870, après la guerre avec la Prusse, la cité thermale décline. Elle survit jusque vers 1900.
Sa fille se marie à un parent, Jean-Baptiste-Eugène-Albert Barrier. Né à Vernoux en 1831, il meurt à Lyon en 1904. Médecin et musicien, il compose plusieurs pièces. Lui et son épouse ont une fille unique, Eugénie, l’admiratrice de Jean Nohain. Eugénie hérite de ses parents et de son oncle.
En mai 1985, l’Hôpital Sainte-Marie fait raser tout ce qui reste de la cité thermale. Actuellement, il est possible de trouver un tronc d’arbres d’où jaillit encore le puits artésien.
L’honneur de notre Amicale est rétabli et la morale est sauve : son capital provient d’une généreuse Ardéchoise, admiratrice du généreux Jean Nohain
Béatrice RIGAUD-JURÉ
PS : Tous nos remerciements à Mme Dominique Buis qui nous a conduites jusqu’à Mme Simone Bertrand, passionnée par l’histoire de la famille Barrier qui nous a ouvert généreusement ses classeurs, fruit de son travail de longue haleine.
*Jean Nohain débute à la TSF en 1923 et crée le 1er jeu radiophonique en novembre 1923. Il écrit en 1935 avec Mireille « Puisque vous partez en voyage »