Reconquérir les châtaigniers
Difficile de parler des végétaux en Ardèche sans penser au châtaignier. Il a permis pendant des siècles aux habitants de subsister, si bien qu’il est souvent surnommé l’arbre à pain. Or, bonne nouvelle, on s’intéresse de nouveau à lui !
Le déclin du châtaignier commence dans la seconde partie du XIXe siècle, car d’autres habitudes alimentaires vont être prises petit à petit. Pourtant, depuis les années 80, la filière est en plein renouveau. Pour relancer la production, des labels sont créés : l'AOC en 2006 et l’AOP en 2014. La qualité du produit s’en est trouvé améliorée, faisant remonter les prix. « Grâce à l’AOP, le prix d’un kilo de châtaignes est passé de 0,50 € à 1,10 € » précise Eric Bertoncello, de la chambre d’agriculture de l’Ardèche. Ainsi, l’Ardèche reste le premier département français producteur de châtaignes, avec 5000 tonnes par an. Si l’on prend en compte tous les métiers de la filière (castanéiculteurs, collecteurs, transformateurs et metteurs sur le marché) on arrive environ à 1000 emplois à temps plein par an, ce qui fait une moyenne d’un homme pour 5 tonnes. Et bonne nouvelle : la demande est plus forte que l’offre. 2000 tonnes supplémentaires de châtaignes AOP pourraient être écoulées sans problème. Les institutions concernées, à savoir la chambre d’agriculture, le Parc des Monts d’Ardèche, et le SICASDCA (Société d'Intérêt Collectif Agricole) s’attèlent donc à une reconquête des châtaigneraies. Un plan d’action a été mis en place, qui doit durer jusqu’à 2021, pour produire 150 tonnes par an en plus : on réhabilite d’anciennes exploitations, on greffe de nouveaux pieds, on favorise l’élevage. 30% d’aides sont attribués aux particuliers, de 40 à 60% aux agriculteurs. Depuis 2013, 25000 arbres ont été « rénovés » (c’est le terme officiel).
Le centre névralgique de la castanéoculture en Ardèche correspond aux Boutières. Or, le dernier numéro du bulletin des Amis de Saint-Pierreville consacre tout un dossier très bien fait sur le sujet. On y apprend qu’on peut encore rencontrer des paysans qui mangent de la châtaigne tous les jours et qu’une partie de la production est exportée. Le journal interroge les producteurs locaux sur leur métier. Certains ramassent encore à la main (100 kilos par jour, 200 kilos est un exploit), d’autres avec des filets (3400 € l’hectare !) sur les terrains où les châtaignes ne roulent pas. Les aspirateurs sont utilisés sur les pentes fortes. Mais « le ramassage à la machine entraine de grosses pertes » précise Marie Bazin. A propos de la conservation, Pierre Vidal raconte que « les châtaignes étaient ramassées précocement parce qu’on les gaulait (une gaule est un instrument servant à faire tomber les fruits) dans les arbres. De ce fait, elles n’avaient pas de vers et se conservaient très bien dans un hérissier, un simple trou dans la terre, couvert par des bogues ». L’entretien des vergers augmente fortement la productivité. Geneviève et Christian Berthiaud racontent qu’une parcelle non entretenue donnait 200 kg de fruits. 10 ans plus tard, après avoir remis le terrain en état, la production s’élevait à 1,5 tonne.
Seulement voilà : depuis l’an 2000, l’instabilité climatique frappe le département une année sur deux. En 2018, la comballe (voir encadré) s’est mise à pourrir prématurément et en 2019, la production a été réduite de moitié.
A cela s’ajoute la maladie de l’encre. Ainsi, des châtaigniers sont morts sur des pans entiers de montagne. Philippe Bay explique qu’en 2019, il n’a récolté qu’un quart de la production habituelle de fruits : « les grossespluies arrivent trop tard maintenant ». Le journal interroge les castanéiculteurs sur l’avenir de leur métier. Globalement, ils sont tous très inquiets : l’un d’eux pense que dans dix ans, il n’y aura plus de châtaignes, sauf si on irrigue. Un autre suggère qu’avec le changement climatique, il faudra replanter des oliviers. Le troisième pense que sur l’adret (côté de la montagne exposé au soleil), il n’y aura plus de châtaigniers. Sans la crème qu’on appelle par erreur « crème de marrons », l’Ardèche sera-t-elle encore l’Ardèche ?