Néandertal en Ardèche : Fouilles en cours à l'abri du Maras
La campagne de fouilles qui a lieu depuis 2006 près de Saint-Martin-d'Ardèche sur l’un des sites majeurs de la moyenne vallée du Rhône, avec huit niveaux archéologiques reconnus, livre de nombreux trésors.
L'étroit sentier conduisant au chantier de fouilles traverse un plateau fleuri au printemps de cistes roses, avant de plonger sous les arbres du vallon aux flancs abrupts, au fond duquel s’active l’équipe des archéologues. Dans ce vallon perpendiculaire à la vallée de l’Ardèche, le site du Maras est un abri sous roche, réduit au cours des millénaires par l’éboulement du toit de ce qui fut sans doute jadis une vaste cavité.
René Gilles et Jean Combier avaient fouillé le site dans les années 1950 et 1960. Marie-Hélène Moncel, directeur de recherche au CNRS, y a effectué en 1993 un sondage qui a révélé l’intérêt d’engager un programme de recherches approfondies.
Une succession de campagnes de fouilles depuis 2006
Tous les ans, une campagne de fouilles de trois à quatre semaines mobilise sur site une dizaine à une douzaine d’étudiants en archéologie, venus valider leur diplôme avec ce stage de terrain, sous la direction de Madame Moncel.
Celle-ci, responsable scientifique de l’opération, est assistée par une équipe internationale de plus de trente scientifiques, experts dans les divers domaines concernés : géologie, archéozoologie, palynologie, analyses, datations, tracéologie (1), etc. Les sédiments du site sont décapés par tranches de cinq à dix centimètres, voire par niveaux millimétriques, sinon par couches. Les objets récoltés, éléments lithiques, restes de faune, charbons de bois, sont localisés précisément en trois dimensions, grâce à un carroyage préalablement implanté.
Le travail des fouilleurs est capital et exigeant. La réussite de la campagne repose sur leur implication, leur attention vigilante et le grand soin apporté au dégagement et à la manipulation d’objets souvent très petits et fragiles. Sans oublier l’endurance nécessaire pour travailler en position accroupie pendant des journées entières.
Trois phases d’occupation ont été identifiées, datées respectivement de 42 000 à 56 000 ans, de 90 000 à 110 000 ans et de 215 000 à 240 000 ans, correspondant à des périodes plutôt tempérées. Les périodes plus froides ne sont pas enregistrées dans la séquence, pour cause d’inexistence ou d’érosion.
Une portion de la séquence de sédiments, près du fond de l’abri, est laissée intacte, à l’intention des prochaines générations de chercheurs qui auront d’autres questionnements et d’autres techniques à leur disposition. Le financement de l’opération est intégralement pris en charge par le Ministère de la Culture, via la Direction Régionale des Affaires Culturelles. Notons avec reconnaissance que Madame Moncel accueille sur le chantier, sans ménager sa peine, un large panel de visiteurs, amateurs et enfants des écoles aussi bien que spécialistes, souhaitant que la population s’approprie ce patrimoine et puisse ainsi mieux en prendre soin et protéger les sites.
Qui était Néandertal ? Comment vivait-il ?
Ses ancêtres faisaient partie des populations migrantes venues d’Afrique il y a 600 000 à 700 000 ans. On pense que seuls des pré-néandertaliens peuplaient l’Europe il y a 300 000 ans et qu’un long processus d’évolution a progressivement forgé les traits morphologiques néandertaliens. Néandertal avait une peau claire et une pilosité sensiblement identique à la nôtre. Avec un corps trapu, de larges épaules, un thorax épais et une musculature puissante, il avait des capacités physiques supérieures aux nôtres. Sa taille moyenne ne dépassait pas 1,68 m pour les hommes et 1,56 m pour les femmes. Son crâne était allongé d’avant en arrière, caractère accentué par un « chignon » occipital et un bourrelet sus orbitaire. Son cerveau, avec un volume moyen de 1 520 cm3, supérieur à celui de ses prédécesseurs et comparable au nôtre, mais de morphologie différente, lui permettait des opérations complexes. Il avait un langage articulé.
Vivant en groupes familiaux estimés sans certitude à 15 ou 20 personnes, il menait une existence nomade, avec des déplacements d’une ampleur habituelle mal connue, de 25 à 30 km peut-être. Il occupait souvent des grottes ou des abris sous roche, comme celui du Maras, mais également des sites de plein air. Les divers groupes se retrouvaient lors de rencontres périodiques qui permettaient des échanges sur le plan génétique, évitant la consanguinité, et favorisaient la circulation de savoirs et de techniques. Le feu lui permettait de cuire ses aliments et de fumer la viande pour la conserver. Il assurait sa sécurité et favorisait sans doute une certaine convivialité. Le bois et parfois des os lui servaient de combustibles.
L’analyse de ces os a révélé qu’il était un gros mangeur de viande, aliment énergétique propre à satisfaire ses grands besoins en calories. Occasionnellement, il était cannibale ; cannibalisme rituel ? Il enterrait ses morts, mais les sépultures retrouvées restent rares. On en observe au Proche-Orient et dans le Sud-Ouest de la France ; il s’agit de fosses, parfois protégées contre les carnivores. Aucune n’a été découverte au Maras à ce jour.
Un grand chasseur
L’alimentation de Néandertal dépendait des ressources animales et végétales de son milieu et la valeur accordée à la viande conférait à la chasse un rôle prédominant ; sans exclure une pratique opportuniste du charognage. Sa préférence allait à la viande des herbivores, dont la peau était aussi utilisée. Les carnivores, dont la chair renfermait parfois des parasites, étaient plutôt exploités pour leur fourrure.
Les chasses saisonnières, les plus souvent pratiquées, amenaient à revenir aux mêmes endroits de façon récurrente. Il s’installait ainsi au Maras à l’automne, lors de la migration des rennes, pendant la période de 50 000 à 40 000 ans, et en été entre 110 000 et 90 000 ans. La carcasse des proies de grande taille était découpée sur le lieu de l’abattage, pour faciliter le transport et laisser éventuellement sur place les parties les moins intéressantes. Ne connaissant pas l’arc, le chasseur utilisait un pieu de bois simplement appointé ou muni d’une pointe en pierre. Il devait donc s’approcher du gibier, ce qui demandait courage et ruse ainsi que force et adresse. L’anatomie de son épaule révèle effectivement des aptitudes pour un lancer puissant et précis.
Nécessité économique, la chasse avait aussi une fonction sociale ; tout particulièrement la chasse au gros gibier qui demandait au groupe des qualités de cohésion, de communication et de coopération, jusqu’au partage du produit.
Sa parfaite adaptation physique et mentale et sa connaissance intime de la nature font considérer Néandertal comme un grand chasseur. Parmi les animaux chassés au Maras, le renne occupe une place de choix, liée aux migrations du printemps et de l’automne. Au nombre des autres proies révélées par les ossements découverts sur le site, on peut citer : cheval, chevreuil, cerf, bison, sanglier, bouquetin, mégalocéros, âne sauvage, lapin. On n’a par contre trouvé que très peu de restes de carnivores. En d’autres endroits, Néandertal a chassé ou charogné éléphant, mammouth, aurochs, rhinocéros, élan et marmotte.
Un artisan très habile et un record du monde
Néandertal est connu comme un artisan de la pierre, les objets faits d’une autre matière, le bois par exemple, ne s’étant pas conservés. Il utilisait surtout le silex mais aussi le grès, le quartz, le quartzite, le gneiss et même le basalte.
Les silex trouvés au Maras proviennent essentiellement de gîtes situés à une trentaine de kilomètres en rive droite et en rive gauche de l’Ardèche. Il y a également quelques silex alpins, provenant sans doute des alluvions du Rhône. Le silex était débité suivant la célèbre technique Levallois, inventée il y a plus de 350 000 ans et utilisée pendant 250 000 ans. Une grande variété d’outils étaient ainsi fabriqués, notamment des couteaux pour couper la viande, des pointes pour percer les peaux et équiper les pieux.
L’analyse des microtraces résiduelles de bois, de cuir ou de colle de résine laissées sur la pierre permet de savoir que certains de ces outils étaient emmanchés et destinés à des usages variés. Une partie des outils trouvés au Maras ont été réalisés ailleurs, peut-être sur le lieu de collecte du silex, mais certains ont été fabriqués ou retouchés au Maras.
Découverte exceptionnelle, un brin de corde microscopique atteste que Néandertal maîtrisait aussi cette technique. L’expert en tracéologie a identifié, dans une brèche accolée à un silex du Maras, trois microfibres végétales (pin ou bouleau) torsadées artificiellement pour fabriquer un cordage. L’âge de la couche dans laquelle l’objet a été trouvé, entre 45 000 et 50 000 ans, en fait le plus vieux cordage connu au monde, dépassant très largement le record précédemment enregistré pour un cordage brûlé découvert en Israël, daté de 20 000 ans et attribué à Sapiens, l’homme moderne.
La fin de Néandertal et son héritage
Les derniers restes osseux néandertaliens connus sont datés de 33 000 ans (France) à 28 000 ans (Croatie). La disparition de Néandertal n’a pas eu lieu partout en même temps et n’est pas non plus un phénomène brutal. L’homme moderne l’a rencontré il y a plus de 70 000 ans au Proche-Orient, où il y a eu métissage entre les deux groupes, puis il est arrivé en Europe quelque 10 000 ans avant la disparition de son prédécesseur. Les premiers artistes de la grotte Chauvet, des hommes modernes, ont oeuvré alors que les derniers néandertaliens étaient peut-être encore présents dans la région.
Dans l’état actuel des connaissances, la disparition progressive de Néandertal semble peut-être due à une faiblesse démographique ; sa population était peu nombreuse et dispersée, avec une forte mortalité infantile. La durée de vie d’un individu n’excédait pas 30 à 40 ans, d’après l’observation des squelettes. Les populations d’hommes modernes, arrivées en plus grand nombre, l’auraient remplacé.
Grâce à ses aptitudes physiques et comportementales, Néandertal avait pu s’adapter à des conditions climatiques très variables et souvent hostiles, jusqu’à des glaciations, pendant 400 000 ans ! Etait-il arrivé au terme de son évolution biologique, comme tant d’autres espèces avant lui ? En effet, pendant des millénaires, il y avait eu sur terre un buissonnement d’hominidés différents et nous sommes aujourd’hui la seule branche subsistante. Toutes les autres se sont éteintes.
Cet homme remarquable par sa capacité d’adaptation et sa longévité n’est pas notre ancêtre mais notre cousin. Il a disparu sans laisser de descendance directe, en nous léguant toutefois un certain héritage, au moins génétique. Les travaux du biologiste et paléogénéticien suédois Svante Pääbo, qui a réussi en 2010 à effectuer une séquence ADN presque complète de Néandertal, n’ont pas seulement montré qu’il y avait eu localement métissage entre lui et l’homme moderne, ce que l’on avait longtemps cru impossible, mais ils ont aussi révélé que 1 % à 4 % d’ADN de Néandertal étaient présents aujourd’hui dans le génome d’une large part de l’humanité. Nous pourrions notamment lui devoir notre capacité de résistance au froid.
Pierre Court
1. La tracéologie est l’étude des microtraces laissées sur un outil en silex par les matières qu’il a découpées. Ces matières, aujourd’hui disparues, avaient été moulées par migration de la silice du silex et ces moulages, repérés au microscope optique, sont ensuite étudiés très finement au microscope à balayage électronique. Cette technique compte peu de spécialistes et n’est applicable qu’à des silex collectés avec grand soin et pas nettoyés après leur collecte, afin de préserver les résidus qui sont très fragiles.