Le Pin Salzmann et le Pin Maritime
Cela pourrait être la chronique tumultueuse de deux frères ennemis. Tout les sépare. Leur tempérament comme leur histoire. L’un plastronne quand l’autre a du mal à exister. Pourtant le premier s’est invité durablement chez le second. Pas sûr qu’il y ait un vainqueur.
Nous sommes dans une forêt qui enveloppe comme une large écharpe une partie de la commune de Banne, de Malbosc et de Saint-Paul le Jeune au sud de l’Ardèche. Quelle que soit la saison, les pins maritimes se plaisent à frotter leur abondante crinière d’aiguilles rigides contre les maisons les plus avancées. Leurs histoires sont liées depuis le début du XIXe siècle, quand les hommes décidèrent d’exploiter rationnellement les gisements de houille des environs.
Dans ce relief vallonné comme une houle lancinante, la nature n’offrait à cette époque qu’une végétation maladroite et éparse. Les mineurs investissant en grand nombre les lieux avaient pour priorité d’étayer solidement leurs galeries et d’aligner de nombreuses traverses pour développer leur réseau ferré. Pour satisfaire cet impératif, les compagnies minières décidèrent aussitôt d’y introduire le pin maritime des Landes. Sa robustesse et sa fiabilité secondaient efficacement leur travail. Ainsi tous les 3 ou 4 ans, les arbres les plus vigoureux affichant 15 centimètres au garrot étaient déclarés aptes au service. Mais la rigueur de leur discipline au fond de la mine contrastait étonnamment avec l’agitation des autres pins livrés à eux-mêmes en surface. Les uns étaient condamnés à rester figés dans l’obscurité et la fragilité des galeries quand les autres proliféraient déjà de manière inquiétante en surface. Et, quand au début des années cinquante, les dernières mines ont fermé avec leur réseau ferré et que tous les trains disparurent en emportant curieusement avec eux leurs rails, les pins maritimes n’avaient plus aucune contrainte pour se répandre tous azimuts. Ceci explique leur omniprésence dans le paysage enlaçant étroitement toutes ces communes voire bien au-delà. Mais leur enthousiasme débridé a surtout été désastreux pour une autre population de pins installés sur ce territoire depuis plus de deux millions d’années, le pin de Salzmann. Trop timoré face à cet invité insaisissable et arrogant, il s’est laissé envahir, lentement, insidieusement, irréversiblement. Sa survie est désormais en jeu. Sans aide, il est condamné à disparaitre.
Des débardages à cheval en janvier dernier avaient focalisé l’attention de nombreux élus, des professionnels de la forêt et des propriétaires de parcelles sur la nécessité de préserver ce pin considéré comme une réelle richesse patrimoniale. Il est devenu bien malgré lui une des essences forestières les plus rares de France. Les projets pour le sauvegarder ont permis de fédérer forêt publique et forêt privée. Dès lors, des initiatives novatrices ont convergé à son chevet. De nouvelles plantations sont apparues, des pins maritimes sont sommés d’abdiquer pour lui permettre de s’émanciper, on pratique dans la forêt des éclaircies pour son confort, suite aux incendies des espaces improbables lui sont dédiés, des feuillus sont même invités à l’accompagner dans sa nouvelle vie. La forêt se métamorphose lentement en accompagnant sa convalescence. Et les observateurs suivent avec attention cette évolution en quête de références dans le cadre du changement climatique. Néanmoins malgré tous ces efforts, le pin de Salzmann peine à se régénérer sur son aire d’origine sans qu’il soit possible d’en comprendre la raison. Fataliste, le représentant de l’ONF reconnait qu’il ne peut agir que pour la seule conservation de cette espèce sans en espérer une évolution sensible.
Mais un autre danger, rédhibitoire celui-là, menace ce pin. Les incendies. Et ils sont de plus en plus fréquents. Contrairement au pin maritime qui dispose avec malice d’une banque de semence perchée dans sa canopée (il répandra avec solennité pour sa reproduction, c’est-à-dire sa survie, les graines mûres une fois le sinistre maitrisé), le pin de Salzmann, lui, malgré ses millions d’années d’expérience, est dépourvu de toute adaptation spécifique pour faire face aux flammes. Sa naïveté et son insouciance pourraient lui être fatales.
Le 1er juin, l’association La forêt méditerranéenne avait organisé une journée d’information et de débat sur les communes de Banne et de Malbosc sur le thème « carbone et forêt méditerranéenne ». Son président, Charles Dereix, accompagné de son équipe à laquelle s’étaient joints de nombreux professionnels de la forêt et des élus locaux, devait poser une question qui engageait tout son auditoire : « quelle sera selon vous la forêt après 2050 ? » Personne n’a vraiment pu lui apporter une réponse satisfaisante et ne s’est même risqué à émettre une hypothèse solide. Seul le représentant de l’ONF, Laurent Golliard, me dira en aparté qu’à terme c’est le chêne blanc qui s’imposera dans le paysage qui nous entoure. Mais que ni l’un ni l’autre ne seront là pour l’apprécier.
Jean-Marie Bayle
Pour en savoir plus : https://www.foret-mediterraneenne.org/fr/