Les Ardéchois partagent tout, même les eaux !
En montant sur le plateau, des panneaux un peu étranges indiquent : « ligne de partage des eaux ». Mais de quoi s’agit-il exactement ?
La France a deux littoraux très différents : à l’ouest, l’Atlantique, prolongé au nord par la Manche. Au sud, la Méditerranée. Chaque source va se jeter à un moment d’un côté ou de l’autre. Il est possible de dresser une ligne allant de Tarifa (20 kilomètres à l’ouest de Gibraltar) qui est l’endroit où la mer et l’océan « s’embrassent », jusqu’au nord-est de l’Europe.
Mais cette ligne est tout sauf droite. Elle est conditionnée par le relief. Elle est appelée la divisoria en Espagne ; elle démarre en prenant une orientation vers l’est jusqu’à Grenade, puis elle remonte plein nord pour s’arrêter à quelques dizaines de kilomètres de l’Atlantique contre la chaîne de montagnes qui est le prolongement espagnol des Pyrénées, et elle tourne vers l’est en direction de l’Andorre en suivant sur plusieurs dizaines de kilomètres la frontière franco-espagnole. À noter qu’en Espagne, la division en provinces est souvent établie en fonction de cette ligne.
En France, son cheminement est beaucoup plus tranquille. La frontière passée, elle remonte presque en ligne droite jusqu’à Val-de-Meuse, dans la Haute-Marne, au sud de Nancy, en passant bien sûr par l’Ardèche. Le PNR des Monts d’Ardèche a installé des œuvres d’art sur son parcours pour accrocher les touristes qui vont visiter le Mont Gerbier-de-Joncs. Puis, elle bifurque d’un coup vers l’est.
Elle entre en Suisse non loin de Bâle, et, phénomène curieux, elle redescend et fait le tour de la Suisse en s’approchant de sa frontière sud. Une petite bande va vers la Méditerranée, dont évidemment le Rhône et ses affluents. Elle remonte alors vers la Bavière allemande, puis entre en Tchéquie. Étonnement, l’intégralité des sources autrichiennes va se déverser en Méditerranée et en mer Noire. Cette ligne se meurt sur la frontière entre la Tchéquie et la Pologne.
Jusqu’à son entrée en Allemagne, cette ligne délimite deux régimes climatiques très différents qui prennent le nom des bassins où vont se jeter les eaux : le climat méditerranéen sur le sud-est et le climat atlantique sur la partie nord-ouest.
Bien sûr, cette histoire est beaucoup trop simple ! Il existe un endroit où les eaux trichent… Et bien sûr, il se situe en Ardèche !
Au lendemain de la Seconde guerre mondiale, avec l’argent du plan Marshall, un barrage sous-terrain a été construit à Montpezat-sous-Bauzon, à 20 kilomètres au-dessus d’Aubenas. Or il s’alimente d’eaux normalement destinées pour la Loire, donc pour l’Atlantique et la rejette vers l’Ardèche, puis le Rhône et enfin en Méditerranée. Ainsi, une même source sur le plateau, par exemple celle de la rivière Pradelle, peut avoir des gouttes partant vers Nantes et d’autres vers Marseille. En se baignant dans le lac d’Issarlès, on peut donc caresser en même temps de l’eau qui ira chatouiller le socle de la statue de la Liberté newyorkaise et celui englouti du phare d’Alexandrie.
Oui, vraiment, en Ardèche, on a le sens du partage !