Le Mont Mézenc-Wikimedia

Le Mont Siamois de l'Ardèche

Quel est le point culminant de l’Ardèche ? Le mont Mézenc. Quel est le point culminant de la Haute-Loire ? Le mont Mézenc. Mais comment est-ce possible ? Tout simplement parce que cette montagne est bicéphale.

Il existe au Québec une montagne s’appelant « la Montagne à Deux Têtes ». Le sommet de l’Ardèche pourrait porter le même nom. Ses deux pointes sont très proches, la distance entre les deux n’étant que de cinq cents mètres. Celui du côté de la Haute-Loire s’élève à 1744 mètres alors que côté ardéchois, le Mézenc culmine à 1753 mètres. Pourtant, ces deux têtes ne regardent pas du même côté. La ligne de séparation des eaux passe là. Vers l’est et le sud, les rivières vont caresser le Rhône et la méditerranée alors que vers l’ouest et le nord, elles vont enlacer la Loire et l’océan atlantique.

Ce n’est pas tout : entre ces deux sommets passent une autre ligne, celle qui sépare deux départements et même jusqu’à 2015 deux régions.

Faire une pause à mi-chemin entre ces deux têtes, c’est avoir un pied tourné vers l’Afrique et l’autre vers l’Amérique. Et s’il se met à pleuvoir, les gouttes s’écouleront peut-être jusqu’à Alexandrie ou jusqu’à New York. Mais avant d’arriver si loin, la pluie devra traverser une épaisse couche de phonolite que le vent par endroit s’amuse à faire chanter. Pourtant, un habitant de la Haute-Loire veut redessiner la frontière. Michel Lacroix prétend que les deux sommets du Mézenc se situent dans son département. Ce géomètre en retraite explique qu’il y aurait eu une erreur cadastrale. Ses premiers repérages datent de 1972 et il est à l’origine en 1992 de l’implantation des tables d’orientation se situant au sommet. Il explique : « Dès 1327, de part et d’autre du mont célèbre, deux seigneurs se disputaient déjà les limites et avaient pu conclure un accord, rédigé en latin, auquel devaient se référer cinq siècles plus tard, ceux appelés à reprendre le dossier. »

D’après le géomètre, une ordonnance de 1847 signée par Louis Philippe fixe la limite administrative entre les deux départements. Or il prétend que suite à une inversion des plans, celui annexé est incompatible avec le texte de l’ordonnance. Et il affirme : «  Les terrains contentieux incluant le sommet du Mézenc et la croix des Boutières ont été considérés à tort entièrement en Ardèche, sur la commune de Borée. Ce n’est que trois ans plus tard que la commune des Estables s’aperçut de la méprise. » Une demande de rectification aurait été rejetée par jugement de la cour d’appel de Nîmes en 1859. Le géomètre trouve ensuite en 2018 un autre plan qui abonde dans son sens, datant de 1820 au cadastre de Privas, celui qui, d’après lui, aurait dû être annexé à l’ordonnance royale de Louis Philippe. Il fait aussi référence à des plans du XVIIe provenant des archives de l’abbaye de Bonnefoy. Et le géomètre de s’interroger : « La délimitation administrative soutenue, conforme à une convention appliquée durant plus de 500 ans et qui formait limite de province, n’a-t-elle pas immensément plus de valeur que le résultat d’une grossière erreur matérielle commise il y a 170 ans ? » Une guerre civile va-t-elle se déclarer entre les deux départements ? Le mot Mézenc vient du latin mege signifiant milieu. Le mot italien mezzo a la même origine. Si la frontière était un jour modifiée, il faudrait alors renommer cette montagne le mont Latenc, de Latus, « côté » dans la langue de Jules César.