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Le caillé doux de Saint Félicien, comme une caresse

Le Caillé doux de Saint-Félicien est un fromage de chèvre pour initiés…

Pour le trouver sur les marchés, il faut quasiment le débusquer : il se cache sur les étals incognito, sans étiquette, cet élégant palet blanc au léger quadrillage est perdu parmi les rustiques picodons. Sa taille même varie : petite galette dont on fait deux bouchées ou grande galette pour six … Son histoire remonte à des milliers d’années, inséparable de celle des éleveurs de chèvres.

 

Le Caillé doux de Saint-Félicien est un fromage qui a perdu toute acidité, fabriqué tout de suite après la traite, avec le lait encore chaud. Autrefois les femmes le laissaient épaissir sur le coin du fourneau, aujourd’hui il est caillé, égoutté, retourné et affiné 15 jours. Ce sont les femmes qui, depuis toujours, le fabriquent. Cette subtile alchimie n’est pas à la portée de toutes. Il faut avoir l’oeil, « sentir le moment ». Produit d’abord pour la consommation familiale, son goût délicat, son parfum subtil le fait vite repérer. Dans les années soixante, les coquetiers (les éleveurs, pas les ronds pour tenir les oeufs à la coque droits !) apprécient particulièrement ce caillé doux pour approvisionner les marchés stéphanois et lyonnais. Pas une ferme alors qui ne leur livre son panier de fromages ! Il gagne en notoriété : des concours sont organisés, des diplômes délivrés, des talents sont reconnus. Au point que des industriels s’emparent du nom de « Saint-Félicien » pour lancer un fromage… de vache !!

Le Caillé doux de Saint-Félicien entre en résistance. En 1980, Charles Fourel de la ferme de Chomaize à Préaux, dépose une marque. Thérèse Fourel est celle-là même dont les fromages raflent tous les premiers prix dans les concours ! Commence alors pour cette production une existence au grand jour : il a un nom, un syndicat pour le défendre et une charte pour le définir comme caillé présure, exclusivement au lait de chèvre.

En 1983, sa vie redevient difficile : les normes impérieuses édictées par l’Union européenne mettent à mal sa fabrication. Les producteurs l’abandonnent les uns après les autres. Il devient si confidentiel - il reste 2 producteurs - que l’on craint sa disparition. Mais le projet Terroir de la Communauté de Communes du Pays de Saint-Félicien en 2008 relance l’attention sur les savoir-faire locaux. Les Entretiens du Terroir le mettent à l’honneur. Gilles Fumey, professeur de géographie à la Sorbonne, vient le soutenir.

Le Caillé doux de Saint-Félicien continue une vie toute de discrétion… mais non sans ambition. En 2017, le syndicat, présidé par Rolande Fourel, productrice, dépose une demande d’AOP auprès de l’INAO et commence alors pour le fromage une longue marche vers la reconnaissance nationale. Un technicien de la chambre d’agriculture de l’Ardèche qui soutient le dossier entreprend l’étude technique nécessaire à la constitution du cahier des charges. L’association Terroir Pays de Saint-Félicien, depuis sa création en 2015, oeuvre à faire de ce fromage un emblème pour le territoire. Elle accompagne le syndicat pour sa promotion. Mais la discrétion notoire du caillé doux continue à le rendre confidentiel. Est-ce dû à sa fabrication qui réclame autant de chance que de talent ou à son prix de revient ? Il faut un litre de lait pour un palet de quatre-vingts grammes. Toujours est-il qu’il reste le mal-aimé des producteurs. Un coup de tonnerre va les réveiller brusquement : le « Saint-Félicien », celui au lait de vache, fabriqué industriellement en Isère, demande une IGP. Peut-il y avoir 2 fromages à porter légitimement le nom de Saint-Félicien ?

Le syndicat du caillé doux de Saint-Félicien effectue alors une mutation. Il modifie ses statuts pour accueillir les voix de non-producteurs. En septembre 2020, un nouveau président, Jean-Luc Boulon, éleveur-producteur à Jaunac, entre en croisade pour redynamiser la filière. Ils sont 5 producteurs seulement à être inscrits au syndicat. Il faut trouver des forces vives. Les nouveaux élus de la Mairie de Saint-Félicien, avec le maire Yann Eyssautier, s’engagent activement à leurs côtés pour valoriser activement ce patrimoine vivant. L’association Planète Terroir fournit une aide technique précieuse. Terroir Pays de Saint- Félicien continue sa mission de promotion : un ouvrage sur le Caillé doux de Saint-Félicien est en préparation et une Confrérie du Caillé doux de Saint-Félicien verra le jour prochainement.

Ce fromage, si discret soit-il, a déjà tout d’un grand cru : un goût réservé aux palais des gourmets qui savent apprécier la subtilité, une notoriété qui s’est faite sans publicité et qui s’ancre au profond des mémoires et une fête qui lui est consacrée, la fête de la chèvre et du caillé doux en août à Saint-Félicien. Le Caillé doux de Saint-Félicien ne va plus quitter la pleine lumière. La longue marche vers l’AOP lui rend définitivement la place qui est la sienne au coeur de la gastronomie ardéchoise. Vraiment, le caillé doux peut maintenant jouer au dur !

Élisabeth Meyrand

Pour approfondir le sujet : 

https://cailledouxstfelicien.wixsite.com/fromagechevreardeche/le-caille-doux

https://www.ardeche-hermitage.com/fr/catalogue/activite/marche-des-producteurs-maintenu-sur-derogation-205439/

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