Abeilles -J-M. Bayle

L'Abeille, entre ciel et miel

Le miel est plus simple à tartiner qu’à récolter. Entre le combat contre des prédateurs et la dégustation par des amateurs, le parcours n’est pas une longue béalière tranquille…

C’est la visite de printemps. Les ruches attendent, positionnées comme des sentinelles, sur le versant des adrets de La Combe du Four, près de Thines. David Perrier, artisan plombier, passionné par l’apiculture, vient s’assurer de l’état de ses colonies d’Apis Melifera à la sortie de l’hiver. Revêtu d’une combinaison que ne bouderait pas un spationaute, il ouvre avec méticulosité chacune de ses 50 ruches. Spectacle fascinant. Activité improbable. Des milliers d’abeilles s’y affairent comme entrainées dans le tourbillon d’un ballet insensé.

Avec le ton assuré et l’érudition d’un universitaire, son enfumoir à la main pour calmer cette agitation, David décode la complexité de cet univers qui fascine les hommes depuis les temps immémoriaux.

Les ruches sont des livres d’images. Les parties jaunes sur les cadres contiennent le pollen, de couleur plus foncée c’est le nectar qui sert à la fabrication du miel, et souvent, quasiment au centre, d’un aspect plus opaque, le couvain. C’est dans ces mêmes alvéoles, ces délicates constructions de rayons de cire, que l’on observe les nymphes, les larves et les oeufs. Moment d’émotion, quand parmi elles émerge de sa chrysalide une jeune abeille dont la durée de vie n’excède pas quelques semaines. Moment solennel, quand dans cette effervescence permanente la reine apparait. Majestueuse, avec son abdomen élégamment effilé comme la robe de traine d’une souveraine médiévale, que les apiculteurs marquent au feutre de couleur pour mieux les repérer et en connaitre l’année de naissance en ouvrant leurs ruches. Je découvre des reines bleues, nées l’année dernière. Des vertes pour la précédente. Mais cette année, immaculées et lumineuses, les reines nouvellement sacrées sont toutes parées de blanc. Présence éclatante et hiératique pour ces jeunes souveraines au destin programmé, mais souvent tragique.

Sur le marché des Vans, Olivier Belval vient de terminer l’installation de son étal. La nuit prochaine, comme un berger organise la transhumance de son troupeau, il emmènera ses ruches à la rencontre des bruyères blanches du côté de Paysac. Apiculteur de père en fils, labellisé Bio depuis 2008, Olivier constate avec plaisir une augmentation sensible de la demande, même s’il déplore une baisse ponctuelle de la fréquentation des marchés due à la Covid 19. En revanche, il est surtout préoccupé par les nombreux prédateurs menaçant ses colonies. L’ennemi numéro 1, le Varroa destructor, minuscule petit crabe rougeâtre, véritable squatter niché à l’intérieur des ruches, planqué dans les alvéoles, ce serial killer se nourrit ainsi des nymphes et des larves voire des abeilles elles-mêmes. Largement répandu, il est la hantise de tous les apiculteurs.

Plus spectaculaire, à l’extérieur, ce sont les hordes de frelons asiatiques qui font la loi. Ces insectes, reconnaissables à leur livrée foncée, n’hésitent pas à s’attaquer aux abeilles à l’entrée des ruches ou sur les fleurs qu’elles butinent, ils leur dévorent le thorax riche en protéine. La parade est délicate et incertaine. Le piégeage et la destruction des nids sont pour l’instant les seules et très aléatoires ripostes à ce fléau. Dans ce contexte, le dérèglement climatique n’arrange rien. Les hivers moins rigoureux acoquinés comme un couple mal assorti à des sécheresses désinhibées de toute retenue, bousculent un rythme de fonctionnement qui semblait immuable. Si l’abeille a de réelles facultés d’adaptation, les fleurs qu’elles butinent en revanche abdiquent rapidement sous les fortes chaleurs. De même que, dans un environnement gorgé de soleil, une ruche nécessitant dix litres d’eau par an aura beaucoup de mal à rafraichir ses locataires.

Et puis il y a l’ennemi dont on parle à demi-mot comme on évoquerait une armée invincible rôdant alentour. Celle-ci ne viendrait pas du nord comme une déferlante de barbares, mais de la pointe de la botte italienne, de Calabre et de Sicile. Il s’agit du Aethina Tumida, alias le Petit Coléoptère. Le combat s’annonce redoutable. Tous les apiculteurs du monde entier le guettent en espérant ne jamais rien voir venir.

Ce printemps, les abeilles semblent enthousiastes pour butiner et gorger leur jabot de nectar, à l’image du miel de l’année passée exposé sur les étals des artisans. Élégant, même racé avec ses couleurs allant du jaune clair au brun dense, en passant par des teintes ambrées et rougeâtres.

Et si nous savons avec Victor Hugo que ‘’les abeilles n’ont pas d’autres proies que les parfums’’, nous devons saluer le rôle désormais essentiel des apiculteurs pour accompagner leur histoire extraordinaire née il y aurait plus de cent millions d’années.

Jean-Marie Bayle

 

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Abeilles - Ruches troncs J-M. Bayle