Arlebosc : Bistrots d'hier et d'aujourd'hui
Lorsque les bougnats « montent » à Paris, ils se spécialisent peu à peu dans le commerce du bois, du charbon et des boissons. Dans leurs boutiques-cafés, ils servent à boire du vin qu’ils achètent au bistraud, nom donné au marchand de vin.
On ne sait pas toujours que c’est aux Auvergnats de Paris que nous devons le bistrot. Lorsque les bougnats « montent » à Paris, ils se spécialisent peu à peu dans le commerce du bois, du charbon et des boissons. Dans leurs boutiques-cafés, ils servent à boire du vin qu’ils achètent au bistraud, nom donné au marchand de vin. Vers 1850, ils ajoutent au verre, l’assiette en proposant de la charcuterie auvergnate. Et ouvrent leurs portes aux femmes qu’ils sont les premiers à accueillir. Les bistrots (ou bistros) vont essaimer partout en France : auberges sans façon, guinguettes ou bastringues, ils sont ces lieux simples et accueillants où l’on peut boire et se nourrir de produits simples et locaux.
Si 1200 bistrots ferment chaque année en France, leur histoire se lit encore sur les murs des villages, se devine sur les enseignes pâlies, se glisse dans ces cartes postales que nous chinons dans les brocantes. A Arlebosc, dans les années cinquante, on en comptait 5. Cinq bistrots avec une histoire qui se confond avec celle du village.
En 1810, au centre du village, face à l’église, se trouvait une auberge. Sur le mur, au rez-de-chaussée de l’imposante maison de 3 étages, une enseigne : « Morfin aubergiste », et partout des anneaux pour attacher les chevaux. Des chambres à l’étage, au-dessus le logement de la famille aubergiste, au- dessus encore le grenier où dorment les petites bonnes, où sèchent saucissons, pommes et raisins. Deux générations travaillent là à plein temps. La vie fait que la jeune Nancy se retrouve trop tôt en charge de l’auberge. Alors, elle transforme le lieu, prend un « mitron » pour faire le pain et fait de l’ex-auberge une boulangerie-épicerie-café. Sur le mur, l’enseigne deviendra Café Gondran. 3 générations vont accueillir et ceux qui viennent à la messe le dimanche : les hommes dans une salle, (la plus grande !) et les femmes dans une autre et ceux qui viennent vendre et acheter les fruits au marché devant le café. Ces jours-là, les tables débordent : on monte boire jusque dans les chambres familiales ! Le temps passe : les tracteurs remplacent les chevaux, arrivent camionnettes et camions. Le monde change : le marché disparaitra en 1980. Le bistrot-boulangerie-épicerie s’essouffle, ferme, est vendu, effacé.
La même histoire se répètera de l’autre côté de la rue où une boucherie fait l’angle. Drôle de bistrot qui combine café et boucherie ! Peut-on ici parler de commerce quand on connaît quasiment le nom du cochon que l’on achète en saucisson, quand passaient devant la porte pour regagner quelques rues plus bas leur écurie, les veaux des rôtis du dimanche. La roue là aussi a tourné : de la boucherie ne reste qu’une maison de village dont seule la porte d’entrée se souvient de s’être ouverte mille et mille fois.
Quelques mètres plus haut c’était un autre bistrot qui lui, « faisait » hôtel. Il est aussi le fief d’une entreprise de cars : on y vient tous les jours prendre l’autobus pour aller à Lamastre, Saint-Félicien, Tournon. On vient de loin pour y manger des anguilles, on vient de la ville pour les vacances. La roue du temps emporte l’hôtel d’abord, puis le bistrot. Aujourd’hui derrière les portes closes du grand garage attend encore le vieux Berliet bleu des débuts, tel un prince endormi.
Tout au bas de cette même rue un bistrot encore, bien placé car en face de la fontaine qui fournira l’eau potable du village jusqu’en 1963. C’est là que se faisaient repas de mariage et fêtes de famille. C’est là que se réglaient après les foires les ventes de bestiaux. Un des maquignons fascinait les enfants qui, en un rituel très attendu, ouvrait tel un livre, un épais portefeuille de billets pour en détacher délicatement un… à convertir en bonbons !
Le temps emporte aussi ce bistrot là mais le temps ne gagne pas toujours ! Il est un bistrot au cœur du village qui résiste et son propriétaire actuel entend bien lui conserver sa vocation première. Autrefois il rivalisait avec l’autre boulangerie dont il était séparé par une petite place. Même four à bois, même étouffoir géant pour recueillir les cendres, même levain et mêmes pains que se partageaient les villageois. Côté café, casse-croûte à toute heure. Si le four ne voit plus aujourd’hui l’ombre d’une miche de pain, ce bistrot-là se réveille. C’est un jeune couple qui a investi les lieux et ramène de la vie : on y vient manger salades et plats du jour, écouter de la musique et il n’est pas rare que l’on y danse les soirs d’été !
Et en face, entre l’église et le château, ils sont 3 : une talentueuse pâtissière et un tout jeune couple de boulangers qui font revivre au pied du château une boulangerie au fournil illuminé d’un vitrail du XIXe et inventent un bistrot café-boulangerie-pâtisserie. Pas de nostalgie dans ces réouvertures : elles disent bien ce besoin d’être accueilli , de ne pas être simplement consommateur et d’avoir un lieu d’échanges.
Élizabeth Meyrand