LE CHÂTEAU DE MONTRÉAL ET SON CHÂTELAIN MAÇON
C'est l'histoire d'un château et d'un homme : la forteresse avait perdu la mémoire d'elle-même mais un maçon est déterminé à l'aider à la retrouver pour se raconter.
C’est avant tout une histoire de tours. Un chapelet de tours. Sept au total. Attentives et orgueilleuses, elles dominaient et ceinturaient les mines de Largentière au sud de l’Ardèche. Leur mission consistait essentiellement à veiller sur le plomb argentifère qui en était extrait pour frapper la monnaie au moyen-âge. Cette richesse dépendait de la juridiction de l’évêque de Viviers. L’évêché en avait confié la surveillance à des familles nobles. Par son élégance, le château de Montréal s’était rapidement imposé comme un des joyaux de cette couronne castrale. Adossé à son redoutable donjon de plus de 28 mètres, utilisant habilement le potentiel défensif du relief, la forteresse raconte l’histoire et l’évolution du Vivarais à travers les siècles.
Seulement depuis la fermeture des mines et l’inutilité stratégique des places fortifiées qui les protégeaient, Montréal avait largement perdu de sa superbe. Les pillages en tout genre s’ajoutant à une érosion insidieuse et dévastatrice le condamnaient à une décrépitude irréversible avant de le dissoudre dans le paysage en une ruine dont on aurait oublié l’histoire. C’est un chevalier des temps modernes qui viendra le sauver. Un chevalier errant venu de Normandie, sans doute en quête d’aventures insolites. La sienne sera justement de rénover le château de Montréal.
Formé durant sa jeunesse au rythme de vie d’une ferme monastère auprès d’un père archéologue, Hubert Fenestrier, fera l’acquisition de l’imposante bâtisse en 1998. Ce n’est pas l’histoire médiévale avec ses fulgurances et ses mythes, ses héros et ses légendes, qui l’ont stimulé, mais sa passion des pierres, particulièrement celles qui racontent le moyen-âge. Hubert se revendique comme un artisan maçon autodidacte. Il a acquis au fil des années une solide expérience en retapant de nombreuses maisons dans la région. Ainsi depuis ce fameux 15 mai 1998, date à laquelle il a poussé la lourde porte d’entrée de son nouvel univers, le chevalier a définitivement délaissé son écu et sa lance pour une truelle et une gamelle.
Depuis, il a seulement eu recours pour le seconder, et de manière très ponctuelle, à quelques entreprises locales comme les artisans ferronniers. Bien sûr l’enthousiasme de bénévoles venus les premiers temps pour extraire les centaines de tonnes de gravats qui enlisaient de l’intérieur chacune des pièces de la forteresse s’est révélé indispensable. C’étaient essentiellement des scouts, mais d’autres jeunes originaires de Valencienne et d’ailleurs se sont aussi impliqués dans le déblaiement de tout ce qui encombrait la compréhension et l’accès à sa longue histoire. Une fois libéré de tout ce qui ne le concernait pas directement il restait à gérer l’essentiel : redonner toute sa noblesse à ce château millénaire devenu au fil du temps une ferme anonyme.
Hubert Fenestrier aime préciser que depuis 22 ans il assure seul les travaux de rénovation de son château comme il en gère le financement par ses propres moyens. Pas d’aides financières extérieures. Pas de subventions. Pas de comptes à rendre à quiconque. Personne à convaincre, à séduire ou simplement à solliciter. L’homme s’assume avec fierté.
Evidemment cette autonomie revendiquée engendre quelques contraintes. Alors pour pallier cette absence d’aide extérieure, le châtelain maçon n’hésite pas à ouvrir la salle d'apparat du logis seigneurial pour des conférences et des séminaires. Il a aussi aménagé deux chambres d’hôtes. Et pour mieux séduire un large public (15 000 par an) il a fait appel à une association assurant des animations et des spectacles médiévaux : ‘’Les Corbeaux de Taranis’’. Visites théâtralisées, démonstration du maniement des armes, au tir à l’arbalète, à la baliste (machine de siège), atelier d’initiation à la calligraphie, à l’héraldique (blason) etc. En franchissant la porte du château de Montréal le visiteur bascule irrémédiablement dans un condensé habilement maîtrisé et mis en scène de ce que pouvait être la vie dans un château au moyen-âge.
Mais ce que le public ne connaîtra sans doute jamais, Hubert Fenestrier le confie à demi-mot. Son château est riche d’un millénaire d’histoires et de mystères. Il a accueilli toutes sortes de personnages. Des nobles sédentaires et des aventuriers de passage. Des pèlerins égarés et des soldats sans armée. Des vagabonds affamés et des curés en maraude. Sans doute s’y sont ourdis de vilains complots et fomentés de redoutables règlements de compte. Hubert entend la nuit tous ces acteurs du passé. Ils seraient toujours dans ces lieux, manifestant leur présence de manières aléatoires et mystérieuses. Des bruits de pas, des serrures qui grincent, une ombre furtive jamais revenue. « On entend des choses bizarres, je me sens parfois observé ». C’est ce dialogue exclusif qui le lie intimement à son château, mais ça Hubert Fenestrier ne l’ébruite pas. C’est un secret qu’il garde pour lui. Le secret du château de Montréal.
Jean-Marie Bayle
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