Des réserves-02-Copyright Jean-Marie BAYLE

Des réserves pour mieux observer la nature

Le dérèglement climatique n’est plus une chimère. Longtemps considéré par certains comme une posture intellectuelle ou politique, la réalité est venue clore le débat.
Les saisons perdent doucement leur identité prenant de court la nature qui s’efforce de s’adapter. Pour mieux en observer les évolutions voire les mutations des réserves naturelles de biodiversité créées par l’association Fiber Nature ont vu le jour au sud du département.

Il y en a deux. La première, inaugurée en mai 2021, se situe sur la commune de Grospierres. Ce terrain offert contre un euro symbolique par le groupe touristique Pierre &Vacances s’étend sur une douzaine d’hectares accrochés sur les flancs nord-ouest de la montagne de la Serre.
En mars 2022 c’est un naturaliste qui a fait don cette fois à l’association d’une parcelle de 5000 m² sur une zone humide près de Vallon-Pont-d’Arc.
Des inventaires de biodiversité ont aussitôt été lancés. Les étudiants du lycée agricole d’Aubenas sont à la manoeuvre. Lionel Coste, le Président de l’association a parallèlement mis en place un conseil scientifique composé d’une quinzaine de spécialistes. Tout ce petit monde armé de connaissances souvent bousculées par les fulgurances imprévisibles du climat s’efforce de comprendre les mutations qu’il découvre et de protéger ce qui peut l’être.

Dans le corridor écologique de la montagne de la Serre, la faune et la flore semblent de prime abord plutôt discrètes. Seuls les chênes verts habillés de feuilles persistantes en toute saison paraissent occuper ce territoire.
Leur résistance à la chaleur et au froid, à la sécheresse comme au vent expliquent sans doute leur sérénité apparente. Mais derrière ou autour de ces sentinelles de la garrigue, les scientifiques ont dénombré près de 250 espèces de plantes. À cet inventaire vient se joindre la diversité des mousses, la rareté de certaines stimule leur étude. Il y a celles qui habillent avec délicatesse les falaises quand d’autres se rependent en timides pelouses dans le chaos des rochers enfin il y a celles qui enlacent certains arbres. Autant de micro-écosystèmes que les récents déficits pluviométriques et hydriques ont passablement agressés. Mais il serait prématuré de tirer un bilan exhaustif de cette improbable période de chaleur qui nous aura fait suffoquer, allant jusqu’à nous harceler avec ses intrusions caniculaires à répétition. Le plus spectaculaire à observer n’est pas une spécificité locale. De nombreuses plantes, ici comme ailleurs, ont fleuri deux fois dans l’année. Le cycle de la nature est partout profondément perturbé. Les dates de floraisons et de pollinisations ont changé pour beaucoup d’espèces.

Au pied de la montagne de la Serre, enlacée par un bosquet d’arbustes, une mare transparente comme le ciel de cette matinée d’automne semble sourdre de la roche. C’est une résurgence vauclusienne. Un gargouillis accompagne le ruisseau qui s’en échappe, le Rigourdet. Cet été Lionel a bien cru qu’il allait disparaître. Depuis trente ans il ne l’avait jamais vu si fragilisé. Mais cette surprise devait en annoncer une autre. Les salamandres ont adopté ce lieu depuis très longtemps. Au printemps
les femelles ont l’habitude d’y déposer leurs larves. Elles affectionnent les milieux aquatiques peu profonds et calmes, le Rigourdet avant de s’émanciper dans la campagne leur convient parfaitement. Seulement cette année, en phase avec ce qui a été observé chez les plantes, les amphibiennes ont récidivé à l’automne. Il y a donc eu, fait exceptionnel, deux pontes. Chez les castors l’excès de chaleur et surtout le manque d’eau n’ont pas eu les mêmes conséquences. Lionel est passionné par ces rongeurs semi-aquatiques. Il leur a même consacré un documentaire. Il a donc observé avec une grande attention leur comportement sur l’autre site, quand l’eau commençait à manquer au point de disparaître complètement.
Or pour un castor l’eau est avant tout un régulateur de température, mais elle est aussi un élément primordial pour la végétation dont il se nourrit. À sa stupéfaction il a déploré dans un premier temps la disparition soudaine
des mammifères. Ils s’étaient en fait réfugiés dans une grotte. Ils y sont restés plusieurs mois.

Comme les plantes, les animaux ont improvisé leur réadaptation à ce nouvel environnement inédit, n'hésitant pas à bousculer profondément leurs habitudes et leur rythme de vie. Si les phénomènes climatiques se limitent à des bouleversements ponctuels, la nature vient encore de le montrer, ses facultés de résilience sauront faire face à cette adversité. En revanche si les agressions climatiques devenaient pérennes, il ne s’agirait plus pour la nature d’improviser un nouveau mode de fonctionnement, mais c’est toute son évolution qui serait remise en question avec les multiples interférences qui en relient ses composantes.

Lionel Coste, concentré et pensif, le regard tourné vers une escouade de chênes verts faisant mine de s’enfuir vers le lit d’un torrent asséché a alors murmuré « la nature ne comprend plus ce qui se passe. » Nous non plus !

Jean-Marie Bayle

 

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