Ouvrage collectif, sous la direction de Jean-Marc Gardès - Éditions CRÉER - 35€

LE PLATEAU ARDECHOIS

Avant de basculer vers les vallées de la Haute Cévenne, vers la vallée du Rhône ou vers les plaines ensoleillées du sud, le Massif Central se redresse une dernière fois en un vaste plateau parsemé ici et là de quelques sucs d’origine volcanique, dont le Mont Gerbier de Jonc, signal des sources de la Loire, est l’archétype. Ces hautes terres de l’Ardèche sont communément désignées « la Montagne », amoundaou dans le patois local. Déjà, les chartes du Moyen-Âge mentionnaient les Terra in Montanis, dont le village de Saint-Cirgues en Montagne garde une trace dans son nom.

Cette Montagne ne laisse pas indifférent. Son climat parfois extrême a façonné son histoire, son architecture ainsi que le caractère de ses habitants, dénommés communément les pagels. Plus de six mois par an, jusqu’aux années 1950, les terrains situés au-dessus de 1200 mètres d’altitude n’étaient plus accessibles qu’à pied, la terrible Burle, blizzard et maître de la Montagne ayant emprisonné les hautes terres dans un suaire égalisant le relief et créant d’immenses congères autour des obstacles. Le printemps, lui, est tardif mais présente une explosion de couleurs et de parfums : dès la fin avril, les prairies se couvrent de jonquilles, de nappes de pensées ou encore de délicats narcisses odorants. Il faut prendre le temps de lire les pages inspirées de Régis Sahuc, chantre de ces hautes contrées, qui a su décrire, mieux que personne « la nostalgie des bruyères, l’amertume du genêt ou la pénétrante narcose des violettes, au hasard des drailles de l’intemporel ». L’été est court mais reste la saison des gros travaux agricoles ; les troupeaux de vaches remplissent les vastes pâturages. Les odeurs d’herbes coupées envahissent l’air. Des orages d’une intensité inouïe se déchaînent, rappelant les peurs ancestrales, quand les gens du pays craignaient que la foudre ne tombe sur la chaumière ou sur le cheptel. Avec les ondées d’août, l’automne n’est plus loin. Les nuits se rafraîchissent et dès septembre, les frondaisons des hêtres et sycomores changent de tonalité pour bientôt transformer la Montagne en une féérie de couleurs aux tons chatoyants et mordorés.

C’est donc un pays au climat souvent rude, mais possédant des paysages uniques, qui apportent une certaine plénitude et ressourcent celui qui sait prendre le temps de s’arrêter en ces hauts lieux. « Là-haut dorment les ancêtres » disait-on autrefois, en évoquant la Montagne, véritable berceau de générations trop nombreuses et qui essaimèrent à partir de la seconde moitié du XIXe siècle vers les villes de la vallée du Rhône et de la région stéphanoise. C’est aussi peut-être pour cette raison que les dimanches d’été, nombreux sont les promeneurs qui viennent un peu en pèlerinage sur cette terre qui parle à leurs coeurs.

Jean-Marc Gardès est un amoureux de ces paysages qu’il connaît bien pour les avoir parcourus à pied, par tous les temps, à la recherche d’anciens sanctuaires ou en quête de contes d’une autre époque. Avant de croiser l’homme, j’ai d’abord lu ses ouvrages. « Sur l’antiquité du Plateau ardéchois » a guidé certains de mes pas vers des sites qui ont marqué l’histoire de ce pays. Et puis, Jean-Marc Gardès s’est intéressé à l’abbaye de Mazan, ce puissant monastère cistercien fondé au début du XIIe siècle dans un vallon sauvage du plateau. Seules des ruines se dressent à l’emplacement d’un fleuron de l’architecture cistercienne, elle-même fondatrice des abbayes de Sénanque et du Thoronet. D’historique, sa quête se tourna vers le folklore, lorsqu’il s’empara du sujet du trésor de l’abbaye de Mazan, dont la tradition raconte qu’il fut caché dans une cloche, quelque part dans la profonde forêt voisine.

Je suis sensible à l’approche de Jean-Marc Gardès car je suis depuis toujours captivé par ce pays. Sa nature et son climat impétueux me ressourcent et m’apaisent, son histoire aiguise ma curiosité, son architecture, si singulière, m’émeut toujours autant et son folklore me rappelle les traditions que racontaient mes anciens.

Avec cet ouvrage, Jean-Marc Gardès s’attèle à une nouvelle tâche, singulière et hardie, une synthèse sur les hauts plateaux, en coordonnant, tel un chef d’orchestre, divers auteurs, qui ont chacun abordé les grands sujets qui caractérisent le pays d’en-haut. Les thèmes traités ici ont été discutés depuis longtemps par des érudits qui marquèrent leurs époques avec leurs études et récits. C’est une belle façon de leur rendre hommage.

Faujas de Saint-Fond et Soulavie, dans leurs ouvrages sur le Vivarais, au XVIIIe siècle, évoquèrent les sucs volcaniques des hauts plateaux. M. Aymes propose ici une synthèse précise et articulée sur la géologie, une des passions de l’abbé Teyssier, dernier curé de Sainte-Eulalie, qui aimait montrer sa collection de minéraux et autres bombes volcaniques récoltés au gré de ses pérégrinations sur les hautes terres.

La botanique de la Montagne du Vivarais est unique, par sa variété et la présence d’espèces rares. L’extraordinaire biodiversité du Plateau, racontée par C. Giroux et C. Faugier, n’avait pas échappé à Paul Besson de la Garde, à Sainte-Eulalie, éminent botaniste. Elle est désormais célébrée dans l’Hort de Clastre, le jardin botanique des sources de la Loire, à Sainte-Eulalie.

L’abbé Therme de Lanarce fut un infatigable chercheur et récolta tout au long de sa vie d’innombrables chartes et documents conservés dans les archives des familles implantées depuis des siècles en Montagne. Les originaux ont désormais souvent disparu mais les transcriptions de l’abbé Therme sont une mine d’informations pour l’histoire des hauts plateaux et celle de ses monastères, étudiée dans cet ouvrage par C. Paumier et E. Blanc.

La singularité de l’architecture vernaculaire de la Montagne a toujours ému les visiteurs de ces contrées. Michel Carlat a longuement étudié les techniques des toitures de lauze et de genêt que Joseph Pouget, fondateur de l’association Liger, n’a eu de cesse de protéger. L’étude proposée ici par L. Rosaz illustre parfaitement les caractéristiques de cette architecture tellement attachante.

L’économie de la Montagne est complexe, principalement à cause de son climat. Pierre Bozon avait magistralement décrit les atouts économiques de cette région. Bien que des agricultures et sylvicultures, modernes et spécialisées, soient désormais en place pour répondre aux enjeux de notre époque, c’est aussi, comme le souligne E. Laurent, le tourisme qui sera un vecteur de développement pour l’avenir.

À la suite de Pierre Bozon et d’Elie Reygnier, F. Jouffre dresse un état de la démographie des hauts plateaux alors que Lioudon et C. Lafont révèlent les recettes de cuisine et réveillent les odeurs d’autrefois, à la suite de Charles Forot,
dont les descriptions « d’odeurs de forêt et fumées de table » restent la référence vivaroise en la matière. Il revenait à Jean-Marc Gardès d’évoquer les contes et légendes, à la suite d’Emile Arnaud, le fameux conteur de Saint-Andéol de Fourchades, qui savait raconter à merveille les traditions des veillées. Il partage avec nous quelques pages d’auteurs qui se sont inspirés des paysages et histoires de ce pays et évoque les hommes de génie, comme l’abbé Tauleigne, originaire de Saint-Cirgues en Montagne qui favorisa l’avancée de la science dans le domaine de la radiographie et de la photographie.

Jean-Marc Gardès propose ainsi une synthèse inédite dans laquelle l’homme des hauts plateaux est le protagoniste. D’un caractère bien trempé, le pagel est toujours respectueux des traditions tout en sachant que c’est vers l’avenir qu’il faut se tourner pour mieux défendre les valeurs de ce terroir unique et haut en couleurs.

Laurent Haond