Comment fabriquer son propre vélo ?
Une jeune association propose des stages de formation pour concevoir un cadre ou réparer son vélo. Elle est née de la passion d’un homme qui avait décidé
il y a plus de quinze ans de créer ses propres vélos aux lignes spécifiques en appliquant des techniques de fabrication novatrices.
L'atelier de la Salamandre est posé au bout d'un chemin de terre. On le découvre seulement au détour d'un épais bosquet. Nous arrivons alors dans l'antre de l'association des « Clipains Salamandre » quelque part dans le relief apaisé du sud de l'Ardèche, sur la commune de Saint-André-de-Cruzières. Cette association est née d'une entreprise qui a cessé ses activités en 2021 avec la disparition tragique de son créateur, Yann. Mais l'expérience et le savoir-faire de ce dernier y sont restés intacts comme sa réputation et la volonté de continuer à oeuvrer à la fabrication de cadres de vélo sur mesure.
Yann était un créatif. Ses projets n'étaient pas seulement l'émanation d'idées aussi insolites que géniales. Leur faisabilité était essentielle. Et pour cela il lui fallait être tout aussi inventif. Dès lors l'esprit du rêveur et la rigueur du scientifique devaient se retrouver. Ingénieur de formation, boulimique d'innovations, sportif émérite, cette alchimie qui mêlait ainsi imagination, équations et concentration dans l'effort devait déboucher sur la mise au point d'engins improbables. Les bécanes qui sortaient de son atelier étaient uniques. Pas seulement parce qu'elles étaient faites sur mesure, mais leur finalité et leur originalité impliquaient une technique de fabrication inédite. Un design novateur. Une résilience exceptionnelle.
On voyait alors apparaitre des prototypes ahurissants d'inventivité. Des vélos cargo démentiels. Des Fat Bike précurseurs d'une nouvelle manière de concevoir la pratique du vélo. Le tout en acier, à la demande, et fabriqué de ses mains.
Le vélo de route ne l'intéressait pas. Il n'en parlait jamais. La confrontation n'a donc pas eu lieu. Ces purs sangs dressés pour la performance l'ennuyaient. Leur standardisation répétée à l'infini les privant de facto de toute véritable originalité, comme le peu de résilience dont ils étaient capables les condamnant à une histoire limitée dans la durée, le consternait.
Avec ses propres vélos, Yann faisait ainsi une contreproposition. Il les concevait de manière ciblée, selon les critères et les besoins de ceux qui les enfourchaient, attentif aux exigences et aux souhaits de chacun. Certains étaient ainsi élaborés pour porter de lourdes voire de volumineuses charges quand d'autres au contraire avaient pour vocation de devenir des compagnons d'escapade. Il était alors possible de s'aventurer avec eux comme avec un complice sur les reliefs les plus escarpés, quels qu'en soient le revêtement et la déclivité. Yann en revenait toujours émerveillé pour s'y être pleinement retrouvé. « Ce que je découvre sur mon vélo, aimait-il rappeler, je le découvre en moi. »
Tel est donc l'héritage de l'Association des « Clipains Salamandre ». Difficile succession. Défi délicat à relever. Le challenge est en fait en phase avec les exigences que l'atelier avait toujours vécues. L'association qui, étant donné son statut, n'est pas contrainte d'obtenir une quelconque rentabilité, hormis de veiller à maintenir un équilibre de fonctionnement, a donc choisi de se concentrer sur la formation. Ce sont donc des stagiaires qui désormais évoluent dans les lieux. Ils apprennent la soudure sous toutes ses formes. On y vient ainsi avec des tubes d'acier pour repartir avec son propre cadre. On y recherche aussi la maîtrise du montage des roues, on répare, on fabrique, on invente. L'atelier a retrouvé toute sa raison d'être.
Des adolescents, de jeunes adultes, tous s'y succèdent pendant plusieurs jours. Récemment un sexagénaire a su habilement assurer les soudures de son nouveau cadre. Prochainement ce sera le tour d'un berger. Il souhaite concevoir un vélo cargo capable de transporter ses chiens.
Pascal sera là pour l'aider. Pascal connait parfaitement l'atelier. Il a surtout connu Yann dont il a suffisamment observé la rigueur et le savoir-faire pour endosser avec humilité la responsabilité des stagiaires. Leur motivation est pour lui le principal critère. Il les accompagne individuellement.
Et quand ils repartent avec leur cadre sous le bras, un cadre en acier fait sur mesure de leurs propres mains, l'émotion est évidente pour les deux. Rares sont les cyclistes roulant sur un vélo qu'ils ont eux-mêmes conçu, soudé, monté et réglé. Pas sûr qu'ils avancent plus vite, mais différemment et avec plus de plaisir, certainement. Ceux qui enfourchent leur nouvelle bécane en quittant l'atelier de la Salamandre, ou qui partent avec leur cadre sous le bras, sont souvent surpris en train de murmurer : « Suivre son propre chemin, c'est savoir sortir des sentiers battus. » C'était un des mantras qu'affectionnait Yann.
Jean-Marie Bayle