Anamorphose sur l'Ancienne Abbaye Cistercienne de Mazan

LA LIGNE DE PARTAGE DES EAUX SE MET AU SERVICE DE L’ART

Le 7 juillet 2017 a été inauguré un parcours artistique sur la ligne de partage des eaux, afin de capter les voyageurs un peu pressés qui ne visitent en Ardèche que la Caverne ou le Mont Gerbier des Joncs.

Ah ! Les Ardéchois qui vivent à Paris ! Ils rêvent de quitter la pluie de l’Ile-de-France pour aller retrouver dans leur sud un ciel pur où les étoiles passent leur temps à jeter des clins d’oeil… Erreur : l’Ardèche, avec 962 millimètres d’eau par an au km² est le 19ème département pour la quantité d’eau qu’il y tombe, alors que Paris, avec 658 millimètres, est le 71ème. Mais il est vrai qu’en heures d’ensoleillement, l’Ardèche gagne ; simplement, quand il y pleut, c’est par grosses quantités : les épisodes cévenols, avec des masses d’air chaud venant du sud qui butent dans le Massif Central contre des masses d’air frais venant du nord génèrent des quantités d’eau spectaculaires.

Géologiquement, l’Ardèche est aussi très atypique : ses montagnes datent du primaire. Mais le temps les a bien gommées. Elles seraient usées comme le Massif Armoricain si pendant la période tertiaire, l’apparition des Alpes ne les avait relevées. Ainsi, côté vallée du Rhône, le redressement est brutal, alors que vers l’ouest, la pente est douce. A cela s’ajoutent des volcans, certains très anciens, d’autres ayant moins de 20 000 ans (les plus jeunes de la France métropolitaine).
Ainsi, la situation et la morphologie transforment l’Ardèche en un immense réservoir d’eau. Une ligne sépare en deux la destination des nombreuses sources : l’eau du plateau chemine en prenant son temps vers l’océan alors que celle des pentes méridionales se précipite vers la Méditerranée. Grosso modo, le GR7 suit cette ligne de précipitation des eaux.
Un phare domine cette coupure : le Mont Gerbier de Jonc. La Loire y naît, elle part vers le sud. Mais elle vient buter contre un volcan ayant plus de 1400 m de haut, le Bauzon. Alors elle amorce un grand virage et prend le chemin du nord. Notons en passant que le village qui se trouve à cet endroit s’appelle Rieutord, la rivière qui tourne.

Autre particularité : ce territoire fait partie du parc naturel régional (PNR) des Monts d’Ardèche. Or celui-ci est assis sur deux régions : il est composé de la presque totalité du tiers nord-est de l’Ardèche auquel sont venues s’ajouter plusieurs communes de la Haute-Loire. Or, dans la recomposition des régions, ces deux départements qui étaient séparés se trouvent maintenant dans la même entité : l’Auvergne-Rhône-Alpes.

Sur la ligne de partage des eaux, six points emblématiques ont été retenus pour que des artistes internationalement connus établissent des installations.

Après être notamment intervenu sur le port de Saint-Nazaire, sur la place de l'Odéon, au Grand Palais ou au centre Pompidou de Metz, Felice Varini a posé des anamorphoses sur les murs de l’abbaye de Mazan. Stéphane Thidet, qui s’était déjà occupé dans le passé de l'abbaye de Maubuisson et du collège des Bernardins à Paris, a mis en décor la Chartreuse de Bonnefoy. Moins connu, Olivier Leroi, auteur d’un pavillon de verre dans le parc animalier et botanique de Branféré (Morbihan), évoque au pied du Gerbier de Jonc la source de la Loire avec des plaques émaillées et un film projeté dans la maison du site. Gilles Clément, qui a mis de nombreux jardins en mouvement, du musée du quai Branly au jardin André Citroën à Paris, s’est attaché ici à réaliser sur la commune de Sagnes-et-Goudoulet une Tour à eau qui récupère l’eau dans l’air pendant les périodes de sécheresse. D’un coté, l’eau part vers la Loire, de l’autre vers le Rhône. Gloria Friedmann, habituée à réaliser des tableaux vivants, propose un phare posé en pleine montagne, au sommet du Moure de l’Abéouradou. Enfin, une sixième oeuvre sera installée en 2018 près de l’abbaye de Notre-Dame-des-Neiges par Huang Yong Ping, artiste chinois vivant en France et ayant exposé dans beaucoup de pays du monde. Ajoutons à cela le mobilier d’Eric Banqué et les mires d’un collectif d’artistes qui sont installés sur le parcours de la ligne de partage des eaux.

Qui sait qu’une partie des eaux allant vers la Loire est redirigée vers le Rhône ? La centrale hydraulique de Montpezat, construite avec l’argent du plan Marshall après la guerre, crée de l’électricité avec de l’eau destinée normalement à la Loire et à l’Atlantique. Cette eau s’échappe ensuite dans la Fontaulière, puis dans l’Ardèche et le Rhône. Elle finit donc dans la Méditerranée. Quand on jette une bouteille dans le lac d’Issarlès, où va-t-elle ? L’Ardèche est le seul département de France qui peut parler en même temps par bouteille interposée à l’Asie, à l’Afrique et à l’Amérique !

Benoit Pastisson

Galerie de photos

Clocher de l'Eglise de Mazan