Chataigniers 02 - Copyright J-M. BAYLE

Les Châtaigniers, victimes indirectes de la Covid-19

Comme chaque année la sécheresse et la canicule ont sévi en Ardèche. Et le gel est déjà là.
Mais c'est un nouvel adversaire inattendu qui s'oppose désormais aux châtaigniers : la Covid-19.

 

Aucun pangolin ne traÎne pourtant dans les châtaigneraies. Le mal est plus insidieux.
Ses conséquences tout aussi pénalisantes.

Ce matin-là il faisait froid. Très froid. Le thermomètre affichait -7° au niveau du sol. En m’élevant sur l’un des versants tapissant le fond de la vallée de Thines, sur la commune de Malarce, des châtaigniers semblaient venir à ma rencontre. Ils surveillaient avec sérénité ma progression. Leur solennité imposait le respect. Les plus anciens ont près de quatre cents ans. C’était en fait un véritable bois accroché par endroit à un dénivelé conséquent qui occupait en bandes dispersées tout le relief, enveloppant dans leur élan plusieurs hameaux esseulés.

Jean-François Lalfert, installé depuis une quarantaine d’années au lieu-dit Le Nogier, croit à une agriculture vivante indissociable du rythme du reste de la nature. Il connaît ses châtaigniers comme un berger son troupeau.
Leurs exigences sont son quotidien. La cohorte turbulente des six cents arbres qui l’entoure revendique depuis des années une attention de plus en plus minutieuse, la variété de leurs essences imposant des soins particuliers pour des finalités bien spécifiques. Mais voilà que de nouvelles contraintes totalement imprévisibles sont venues fragiliser un peu plus leur essor ; l'ombre portée de la Covid-19 a fortement assombri le bilan d'une année que rien ne semblait devoir contrarier.

Ce sont moins les symptômes proprement dits de l'infection que les menaces dévastatrices du virus qui ont tout enrayé. Les confinements du printemps et de l'automne ont en effet paralysé les différentes étapes de la production. Tout d'abord, faute de bras disponibles, le ramassage a été pénalisé. La main d’oeuvre s'étant prudemment repliée à l’abri de la Covid, elle a laissé sur le terrain une grande partie de la récolte. Mais c'est incontestablement la baisse sensible des ventes sur des marchés de moins en moins fréquentés et surtout l’annulation des salons qui auront été les plus pénalisantes.
Ces derniers, à Paris, Grenoble, Tours, Bourges etc. s’imposent comme les champions de la demande. Le manque à gagner est conséquent ; les aides de l'État inexistantes.

SI LES CHÂTAIGNIERS RÉSISTENT AUX ALÉAS CLIMATIQUES, LA FRAGILITÉ DES HOMMES ET LA LOI DU MARCHÉ LEUR ÉCHAPPENT

Et si les confitures peuvent accessoirement attendre sur leur rayonnage, les marrons grillés comme les marrons naturels doivent se vendre au plus vite. Cette vente correspondant sensiblement au coût global de la main d’oeuvre pour toute la saison. Quant aux stocks ainsi accumulés depuis le début de l’épidémie, il est illusoire d'espérer les écouler. Même une mobilisation générale de tous les inconditionnels de la saveur délicate des châtaignes ardéchoises ne pourrait y parvenir. Ce sont des tonnes de châtaignes qui sont ainsi perdues. Depuis 2003 Jean-François déplore, fataliste, qu'il n'ait connu que six bonnes récoltes. Les dégâts incommensurables causés par les sécheresses à répétition étaient jusqu’à ce jour son adversaire le plus redoutable. Voilà donc que cette pandémie et son cortège de confinements sont venus perturber un peu plus une production déjà passablement déstabilisée.

Et si les châtaigniers ont toujours su s’adapter à l’adversité, si du plus profond de leurs racines plongeant pour certains jusqu’au coeur du XVIIe siècle ils savent y puiser la force indispensable pour résister à tous les aléas climatiques, la fragilité des hommes et la loi du marché leur échappent totalement. Jean-François et sa petite équipe du Bois de Belle savent que l'attachement affectif qui les lie à leurs arbres leur a déjà permis de surmonter bien des vicissitudes.
Ils se doivent d'être confiants pour contourner ce nouvel obstacle aux conséquences financières terriblement pénalisantes. En revanche ils savent aussi que ce sera long, qu'il leur faudra du temps pour se reconstruire, ce qui évidemment amuse les châtaigniers plusieurs fois centenaires. Néanmoins ces derniers, respectueux et attentionnés, semblent avoir compris la précarité de la situation, ils se sont ainsi mobilisés pour offrir au terme de cette année improbable une récolte de grande qualité.

Jean-Marie Bayle

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